Ян Ващук
Ян Ващук
Привет, меня зовут Ян, я автор коротких текстов и длинных предложений. Амбассадор белой футболки, евангелист безлайкового Интернета и эмиссар Пустоты Волопаса
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Je mens

I
Je mens. Je m’ensemence des faux serments et je m’en sens
Sain, sauve, heureux, en toute sécurité
Je m’ensevelis et j’en suscite
Le sentiment d’immense satisfaction
Mais sans aucune trace de saleté là-dedans
Je mens
Sans nécessité dans tous les sens
Avec sérénité et une grande aisance
Je mens depuis enfant
Peut-être même depuis ma propre naissance
Ou bien que sais-je peut-être bien avant
Que je ne sois conçu
À ce moment très dramatique et si puissant qu’il a réussi
D’une manière mystérieuse et totalement hors-science
À traverser les parois de cellules d’épiderme et pénétrer dans les espaces sous-cutanés
Du jeune corps de ma mère dont les seins
Ont été caressés par une main frêle et hésitante, comme si prenant une décision très difficile
Appartenant à un homme dont le visage les lèvres le nez et la couleur foncée des yeux
L’accent, les sons qui sortaient de sa bouche et qui coulaient sur la surface des seins susmentionnés
Ainsi façonnant une allusion si fascinante au ressac des vagues
D’espoir
Qui scintillait suavement dans les espaces sombres de silence qui séparaient les consonants
Son nom, son énergie, sa masse, bref
Tout ça
J’ai inventé dans son entièreté
Quelques années seulement
Après avoir appris, tant bien que mal, à mettre les mots ensemble
Les serrer dans les phrases
Et en tirer des innombrables sens
Non pas parce que ça me plaisait
Mais parce que je le nécessitais
Non seulement pour survivre
Mais, d’abord, pour être
Celui qui je suis
L’unique fils
De mon sincère mensonge
Je mens, donc
Je suis

II
Alors, comme vous avez sûrement compris, je mens beaucoup. Je mens à ma famille, je mens à mes amis, je mens à mes collègues, je mens aux inconnus. Je mens aux filles, je mens aux gars, je mens aux gender fluid, je mens aux indécis. Je mens tellement que la réalité devient molle et délayée, comme une mousse, et les objets inanimés — les chaises, la table, le lit, le tabouret de piano — mes seuls amis désormais, se détachent du plancher et se mettent à flotter en elle, se rapprochant et s’éloignant de moi, m’indiquant confusément les chemins non pris / et pour cette raison / relativement « safes ». Je mens. Je mens beaucoup. Mais, pour l’instant, je me débrouille. Je gère.

Je mens sur toutes sortes de choses : sur ma nationalité, sur ma ville de naissance, sur mon plat préféré, même sur les circonstances dans lesquelles j’ai rencontré ma blonde (que, bien évidemment, je n’ai jamais eue). Sur les formes de nuages, sur la couleur du ciel, sur les angles sous lesquels se sont inclinés les toits rougeâtres d’immeubles de mon quartier, comme pour faciliter le passage du soleil qui semble les frôler, les caresser avec tendresse, s’en rapprocher, prenant la forme d’une goutte fondante du miel qui glisse sur le bord orné du panorama, lui donnant une teinte presque gastronomique, mais qui — mensonge ! — en toute réalité, est loin, / très loin, / qui est très grand et violemment brûlant, / qui tourne autour de soi, épuise son carburant en émanant un peu de lumière et de chaleur, qui rampe sans but dans le vide, qui attire les moches et les yeux tannés de mensonges, les yeux qui le regardent, parfois avec espoir, parfois fâchés, parfois comme si en demandant — pas de conseil, pas de soutien, pas d’explication non plus — plutôt comme une confirmation d’une réponse qu’on à déjà donnée à sa question pérenne et insolvable, posée toujours de même façon : « Est-ce qu’ils savent ? Est-ce qu’ils le savent tous ? ».

Je mens. Je continue à mentir, c’est incontournable. Même quand il n’est pas nécessaire, même quand il n’y a pas de vérité hideuse à cacher, quand tout est propre, quand les faits sont favorables et le mensonge serait nuisible du point de vue d’évolution — je le fais quand même, parce que je ne peux pas faire autrement. Parce que la « m » de « mensonge » me rentre soudainement dans les narines comme un tampon imbibé de chloroforme, puis le « en » et le « son » s’accrochent aux bouts de mes lèvres, calant violemment ma bouche et fixant ma tête, le « ge » immobilise ma langue avec une légère piqure, à la suite de quoi, tous ensemble, ils glissent, gloussant, dans mes gosiers, remplissent mes alvéoles, et, pénétrant dans le sang, se désintègrent en simples polysaccarides qui, si nous omettons la longue et ennuyante biochimie, me font d’un coup :

1). Plisser mes yeux
2). Rentrer mes mains dans mes poches
3). Sourire d’une façon débile
4). Me mettre à transpirer
5). Regarder ailleurs et dire :

« Moi, je suis né à Cuba… »

Je mens jusqu’à ce que la réalité devienne si mince et qu’on peut voir à travers sa fine couche les autres univers lointains, peuplés de presque mêmes humanités et marqués de presque mêmes événements historiques qui, eux, ont fini par immortaliser les noms de mêmes personnes sur les plaques des rues teintées de presque mêmes couleurs, parfois même brodées du même motif des fines fissures de la peinture —

Là, dans les rues étroites et vides
Courtes et cabossées
Où coulent lentement la transparence et la chaleur tropicales
Où le bruit des bottes et le gloussement des gosses
Se mêlent avec le long épais grondement du vieux moteur
Qui se propage paresseusement derrière la silhouette d’un Oldsmobile
Flottant dans le doux apesanteur de l’air visqueux
Là, où, dans un monde sur quintillion, on pousse la fenêtre
Les vieux volets frappent brusquement le mur
Les vagues d’arômes de la cuisine pauvre et inventive
Portant en eux les demi-mots et quasi-rires
Giclent avec force des entrailles d’une bâtisse grise
Éclaboussant pour un petit instant les trottoirs ardents
Coupés en deux par une ligne nette de l’ombre
Les arrosant avec une heureuse nouvelle
Transmise via un effet sonore qui pourrait être en même temps
Le cri d’un nouveau-né
Ou un sanglot furtif sorti de la bouche de quelqu’un
Dont les mensonges ont finalement cadré avec la vérité

Version originale : https://janvaschuk.com/2022/06/19/je-mens/

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